Victor de Carnières, né le à Maubeuge et mort le à M'Raïssa sur la presqu'île du cap Bon est un agriculteur, journaliste, homme politique et porte-parole de la population française en Tunisie pendant le protectorat français. Il est le fondateur du journal La Tunisie française.
Formation
Fils d'un haut magistrat, après des études au lycée Bonaparte, il prépare sa licence en droit pour devenir avocat mais l'instauration du protectorat français en Tunisie l'incite à franchir la Méditerranée en 1883 : il s'installe comme colon à Soliman, à une trentaine de kilomètres de Tunis.
Carrière publique
Carrière politique
Farouche opposant à la formule du protectorat, il fonde le l'hebdomadaire La Tunisie. Le journal change de nom en 1892 pour devenir L'Annexion puis, quatre semaines plus tard, La Tunisie française.
En février 1892, il crée l'Union des travailleurs français, une organisation mutualiste de protection et d'assurance. À mi-chemin du syndicat, du parti et du réseau clientéliste, ce groupement fonctionne comme une caisse de résonance pour des notables soucieux d'enracinement populaire. De même, il fonde en mai 1893 « La Septentrionale » pour regrouper les natifs du Nord et du Pas-de-Calais.
Sa verve et sa plume acide en font le digne représentant des colons agriculteurs, puisqu'il est nommé dès 1894 comme secrétaire général puis une année plus tard vice-président de la Chambre d'agriculture. À partir de 1896, il devient délégué à la Conférence consultative. La même année, il est élu à la présidence de la Chambre d'agriculture française du Nord, poste qu'il garde jusqu'à sa mort. Sa liberté de langage et sa plume facile lui permettent d'occuper une importante place dans la scène politique tunisienne et d'imposer ses vues au gouvernement du protectorat.
Articles dans La Tunisie Française
Attitude vis-à-vis des indigènes
Partisan d'une politique de fermeté envers les indigènes qu'il considère comme des personnes mineures, c'est par la plume qu'il explique quelle attitude adopter vis-à-vis des Tunisiens (1895) :
De toute façon, selon De Carnières, l'histoire de la Tunisie prouve l'incapacité des musulmans à se sortir de l'immobilisme (1895) :
Il s'élève également contre la volonté gouvernementale d'encourager l'enseignement dans la population tunisienne (1897) :
Attitude vis-à-vis des juifs
Reflet de l'antisémitisme de l'époque, les efforts d'assimilation des Juifs de Tunisie doivent, à son sens, être combattus (1895) :
Bien sûr, cette attitude n'est dictée que par la défense des intérêts des Tunisiens musulmans victimes des pratiques usuraires des prêteurs juifs (1893) :
Attitude vis-à-vis de l'administration
Partisan acharné de l'annexion de la Tunisie à la France, De Carnières se saisit de tous les prétextes pour entrer en conflit avec les administrateurs chargés de mettre en place le fonctionnement du protectorat tel qu'il a été imaginé à Tunis. Le conflit culmine en 1889 lorsque le contrôleur civil de Nabeul, Saar, insulte le colon qui demande réparation par un duel. Devant le refus du fonctionnaire qui ne réplique pas non plus aux deux gifles que le polémiste lui assène le 7 mai, De Carnières intente un procès pour insulte. Mal lui en prend : il est condamné à 5 000 francs d'amende et de dommages et intérêts par le tribunal correctionnel de Tunis. Il entame alors une campagne de presse contre le corps des contrôleurs civils en recensant tous leurs abus de pouvoir, avant de finalement renoncer au bout de trois mois, vaincu par le soutien inflexible affiché par le résident général Justin Massicault pour ses subordonnés.
Opposant convaincu aux différents résidents généraux qui se succèdent en Tunisie, ses éditoriaux sont l'occasion de donner son opinion sur l'évolution administrative du protectorat. Justin Massicault qui arrive en Tunisie en 1886 est sa première cible comme le montre l'affaire Saar. Le décès du résident général est annoncé en une du journal L'Annexion – qui change de nom à cette occasion – par la manchette suivante : « Le résident général a succombé ce matin vers trois heures ». L'absence de condoléances dans le numéro est soulignée par la phrase qui clôt l'article : « Devant cette tombe entrouverte, nous garderons le silence ».
Les successeurs de Massicault ne trouvent pas plus grâce à ses yeux. Il écrit ainsi en 1899 :
Pour De Carnières, toutes ces réformes en faveur des Tunisiens ont fini par créer des déclassés, des mécontents et donc des agitateurs potentiels. Il en veut pour preuve ces délits commis par des Tunisiens à l'encontre de Français, notamment à Béja, à la fin des années 1890, qui sont perçus comme le signe d'un changement dangereux dans le comportement des autochtones vis-à-vis des Français. C'est pour lui la preuve que « l'égalité tue le prestige ».
Congrès colonial de 1908
Ce congrès qui se tient à l'École libre des sciences politiques du 6 au est l'occasion de confronter les vues des prépondérants et des Jeunes Tunisiens. Surpris par la virulence des orateurs tunisiens, De Carnières constate qu'« il y a chez ces Messieurs une combativité extrême ; ils s'imaginent toujours qu'on les vise personnellement, qu'on va les attaquer ». Mais cette fougue ne l'empêche pas de faire adopter une motion demandant le rejet de l'éligibilité des Tunisiens aux municipalités mixtes, ce qui provoque la colère d'Abdeljelil Zaouche et de ses amis. Ce succès l'encourage à rappeler que les Tunisiens sont « encore loin de la civilisation française ». Mais il reste sans voix lorsque Khairallah Ben Mustapha l'interrompt pour prier le président de la séance de « donner à M. Carnières deux minutes pour nous fournir une explication exacte de la civilisation française ».
Paradoxalement, les deux camps ennemis se retrouvent dans le souhait de privilégier l'ouverture d'écoles coraniques (kouttabs) en lieu et place des écoles franco-arabes ainsi que le rappelle le chef des prépondérants : « Moi, je condamne l'école franco-arabe avec l'immense majorité des colons et avec la Conférence consultative qui s'est prononcée sur la question ». Il se déclare partisan de l'éducation en arabe fondée sur « une interprétation libérale du Coran » qui permettrait d'enseigner à l'indigène « qu'il peut aimer le roumi ».
S'étant astreint à une certaine retenue lors de ce congrès tenu en métropole, De Carnières profite de son retour à Tunis pour exhaler sa colère dans les colonnes de son journal :
Délégué à la Conférence consultative
La réforme du , qui crée une représentation tunisienne au sein de la Conférence consultative qui ne regroupait jusqu'alors que des délégués français, est vivement combattue par De Carnières. Mais la fermeté du ministre des Affaires étrangères et ancien résident général Stephen Pichon l'amène à réviser sa position et à demander que les délégués indigènes ne soient pas consultés sur les affaires concernant la population française. Mais, là aussi, il essuie un refus. Face à ces échecs successifs, De Carnières répond par des articles injurieux comme celui du : « M. Bach Hamba demande pourquoi les emplois publics dans la régence sont réservés aux Français ? Je vais le lui dire : c'est parce que les Tunisiens ne possèdent ni la capacité ni la moralité nécessaire pour les remplir ».
Ceux que l'on appelle les prépondérants bloquent toutes les demandes des délégués tunisiens, au point de forcer le gouvernement à faire siéger les deux délégations séparément à partir de 1910 pour mettre fin aux tumultes provoqués par les délégués français.
Procès Carnières-Zaouche
Le , une émeute éclate à Tunis à la suite de l'annonce de l'immatriculation du cimetière du Djellaz. Dès le 11 novembre, De Carnières dénonce un mouvement prémédité cherchant à liquider la présence française en Tunisie. À l'appui de ses dires, il prétend qu'une importante quantité d'armes a été saisie dans les mosquées et chez des particuliers. Ses accusations deviennent plus précises quand il écrit le dans Le Colon français que quarante détenus interrogés par la police ont reconnu avoir reçu cinq francs chacun d'un indigène envoyé par Abdeljelil Zaouche, Jeune Tunisien et délégué à la Conférence consultative. Le 26 novembre enfin, il accuse Zaouche d'être le principal responsable de l'émeute dans un article écrit dans Le Colon français ; ce dernier réplique en attaquant le polémiste en diffamation.
L'affaire passe en justice le . À la surprise générale, Zaouche est débouté au « motif pris de ce que, pour De Carnières, la personnalité de Zaouche n'aurait qu'un intérêt secondaire et que ce que De Carnières voyait, avant tout, c'était l'intérêt français ; [attendu] que, dans ces conditions, il n'était pas démontré que l'intention de nuire, indispensable pour l'existence de délit de diffamation reproché à De Carnières, se rencontrait dans les articles visés et que ce soit dans le but de satisfaire à un sentiment coupable de haine que lesdits articles ont été écrits ».
Mais Zaouche ne s'avoue pas vaincu et fait appel devant la cour d'Alger. Celle-ci, dans sa séance du , condamne Victor de Carnières à 1 000 francs d'amende au profit de Zaouche en réparation des dommages qu'il lui a occasionnés par ses accusations.
Décès
Victor de Carnières décède le . Il est d'abord envisagé d'inhumer sa dépouille dans un terrain situé juste en face de la direction générale de l'Agriculture, du Commerce et de la Colonisation mais la mobilisation des Jeunes Tunisiens avec l'appui de Naceur Bey met fin à ce projet.
Il est alors enterré à M'Raïssa, entre Soliman et Takelsa. Chaque année, au début du mois d'avril, sa tombe devient le lieu de rassemblement des prépondérants et des autorités catholiques. L'archevêque de Carthage se déplace pour y célébrer la messe dans laquelle il voit « non seulement le témoignage de l'amitié qui l'unissait à De Carnières mais encore l'hommage qu'il aimait rendre à la colonie agricole ».
On donne son nom à un centre de colonisation. En 1923, le journal Le Colon français lance une souscription pour élever un monument en souvenir de son fondateur. Un buste à son effigie est finalement érigé en 1936 à l'initiative de la ville de Tunis dans le square de Verdun. Il est démonté en .
Distinctions
- Chevalier de la Légion d'honneur :
Héritage
Victor de Carnières est resté le symbole de ce que la colonisation peut produire de plus haïssable par le racisme et le sentiment de supériorité affichés par certains colons à l'égard des populations indigènes. Habib Bourguiba (qui ne l'a pas connu) a pu ainsi dire de lui :
Il reste surtout le symbole des premiers temps du protectorat, des interrogations sur la fonction et l'avenir du protectorat ainsi que sur la place que devaient y tenir les « indigènes », le symbole aussi d'une époque marquée par le boulangisme et l'affaire Dreyfus avant que le mouvement national tunisien ne vienne bousculer les vérités établies.
Références
Liens externes
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